Messages de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus à Marcel Van

Marcel Van

Ces pages sont extraites du livre “L’amour ne peut mourir” du père Marie-Michel.

« Van, mon cher petit frère ! »

(…) Propulsé par la joie, Van se met à chanter et gambader comme un fou en direction de la colline. Arrivé au pied, il se laisse tomber sur une pierre et demeure là, immobile, les yeux fixés sur le soleil levant. Ses premiers rayons viennent effleurer la nature qui s’éveille. Van contemple cette beauté, mais une question revient sans cesse: « Pourquoi suis-je si joyeux comme quelqu’un qui aurait perdu la tête ? » Soudain, dans le silence, il sursaute ! Une voix l’appelle : « Van, Van, mon cher petit frère ! »

« Je regardais autour pour voir qui m’appelait… La voix semblait venir de ma droite. Intrigué, je riais intérieurement, convaincu qu’il y avait quelqu’un, et je me disais : c’est drôle ! Quelle tertiaire peut m’appeler son petit frère ? Car j’avais reconnu une voix de femme… »

Mais la mystérieuse voix insiste :

« Encore sous le coup de la stupéfaction, j’entendis de nouveau la même voix qui m’appelait, douce comme la brise qui passe :

“Van, mon cher petit frère !” Étonné, presque troublé, je gardais mon calme, devinant que cette voix était spirituelle. Aussi, je poussais un cri de joie :

— Oh ! C’est ma sœur Thérèse !… »

La réponse ne se fit pas attendre :

«— Oui, c’est bien ta sœur Thérèse. Je suis ici pour répondre à tes paroles qui ont eu un écho jusque dans mon cœur. Petit frère ! Tu seras désormais personnellement mon petit frère, tout comme tu m’as choisie pour être spécialement ta grande sœur. À partir de ce jour, nos deux âmes ne formeront plus qu’une seule âme, dans le seul amour de Dieu. Je te communiquerai toutes mes pensées sur l’Amour, qui sont passées dans ma vie et m’ont transformée en Amour infini de Dieu. Sais-tu pourquoi nous nous rencontrons aujourd’hui ? C’est Dieu lui-même qui a ménagé cette rencontre. Il veut que les leçons d’amour qu’Il m’a enseignées autrefois dans le secret du cœur se perpétuent en ce monde. C’est pourquoi Il a daigné te choisir comme petit secrétaire pour réaliser son œuvre. Cette rencontre est voulue pour te faire connaître ta belle mission. Van, mon petit frère, tu es vraiment pour moi une âme selon mon cœur, tout comme je suis une sainte selon ton cœur. Dieu m’a donné de te connaître depuis très longtemps. Avant même que tu existes, ta vie est apparue dans le regard mystérieux de Dieu, et moi, je t’ai vu dans la lumière de ce regard… Et voici que Dieu m’a confié le soin de veiller sur toi comme l’ange gardien de ta vie. Ainsi, j’étais toujours avec toi, te suivant pas à pas, comme une mère tout près de son enfant. Grande était ma joie quand je voyais dans ton âme une parfaite ressemblance avec la mienne !… Dans sa sagesse, l’Amour divin l’a voulu ainsi… »

« Dieu est Père »

Un jour, Jésus dira à Van : « Au ciel, je te donnerai pour mission d’aider ta grande sœur Thérèse à inspirer au monde la confiance en mon amour. » Toute la vie de Van est centrée sur cette réalité : une confiance croissante en l’amour infini de Dieu. Aussi, après l’avoir rassuré sur des tas de questions, Thérèse l’invite à ne rien regretter du passé, en recevant tout de la main de Dieu :

« Qui sait, conclut-elle, si tu m’avais connue une heure plus tôt, peut-être n’aurais-tu pas vécu hier l’immense grâce qui t’a inondé de bonheur ? C’est là un mystère et nous ne pouvons que croire en la miséricorde de Dieu notre Père qui, dans sa sagesse, veille sur les moindres détails de nos vies. »

Ces paroles sont comme un prélude. Thérèse va commencer ici un véritable enseignement sur le Dieu-Père. Il n’est qu’Amour et la confiance en lui doit peu à peu extirper en nous la peur… jusqu’en ses racines originelles :

« Petit frère, écoute : Dieu est Père et ce Père est Amour. Il est d’une bonté et d’une bienveillance infinies. Seul l’infini peut donner le sens réel du nom de Père… Contemple la création de ce monde. Regarde autour de toi et en toi, tu peux reconnaître combien Dieu nous aime. Mais depuis le jour où nos premiers parents ont péché… la crainte a envahi le cœur de l’homme et lui a enlevé la pensée d’un Dieu Père infiniment bon. Et pourtant, Dieu continuait à être un Père envers l’humanité ingrate… Alors, Dieu a envoyé son Fils qui s’est abaissé en se faisant homme. Jésus est venu dire à ses frères les hommes que l’amour du Père est une source inépuisable. Et de sa propre bouche, il nous a enseigné à lui dire : Notre Père… »

« N’aie jamais peur de Dieu. Il ne sait qu’aimer…»

Thérèse touche là une des réalités les plus profondes du cœur humain : la peur de Dieu. Consciente ou inconsciente, elle habite nos cœurs et immobilise souvent l’amour. 

« Elle est née avec la brisure du péché originel où directement, l’homme est passé d’un Dieu-Père entre les mains duquel on joue comme un enfant, à un Dieu-juge dont on fuit la face…. et le drame de la faute n’est peut-être pas tant le fait d’avoir essayé de devenir dieu soi-même à la place de Dieu. L’homme se rendrait compte qu’on n’y arrive pas… Mais c’est qu’à la racine de cela, il y a une méconnaissance de ce qu’est le Père et ensuite une volonté de se leurrer et de s’imaginer le Père comme un despote jaloux, pour justifier sa rébellion désespérée. C’est cette caricature de l’image de Dieu qui va être le plus dur à extirper de l’homme… »

Le seul remède, c’est l’enfance. Pour redécouvrir le Cœur réel du Père et nous laisser réapprivoiser, nous avons reçu le pouvoir de devenir enfant de Dieu. C’est-à-dire d’éliminer peu à peu la peur qui nous tenait loin de Dieu. Cette distance mortelle, Dieu ne l’a pas supportée et Il l’a vaincue… À travers son Fils, il a tellement regardé l’homme avec amour qu’il a fini par devenir homme. En Marie, Dieu s’est fait petit enfant, et dans cet enfant l’homme a redécouvert le vrai Visage de Dieu : « Qui m’a vu, a vu le Père » (In 14,9) dit Jésus. Thérèse laisse aller maintenant son cœur sur ce thème qui lui est cher :

« Être les enfants de Dieu, c’est là pour nous un immense bonheur. Soyons en fiers et ne cédons jamais à une crainte excessive. Petit frère chéri ! Dieu est notre Père bien-aimé ! Je voudrais te rappeler sans cesse ce nom si doux. Désormais, je veux que tu gardes le souvenir habituel du nom d’”Amour” et que jamais tu ne prennes un air soucieux ou une attitude craintive en présence de l’Amour Infini du Père. Oui, souviens-toi toujours que Dieu est Père et qu’Il t’a souvent comblé au-delà de tes désirs… N’aie jamais peur de Dieu. Il ne sait qu’aimer et désirer être aimé... »

« Aimer, c’est tout donner… »

Thérèse continue ses enseignements aussi simples et profonds qu’un regard d’enfant. Elle veut vraiment imprimer dans le cœur de Van le principe secret et puissant qui a guidé toute sa vie : « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ». On ne peut se donner soi-même qu’en offrant tout le vécu de chaque instant. L’amour commence au présent :

« Dieu a soif de nos pauvres petits cœurs sortis de ses mains créatrices, et où il a déposé une étincelle d’amour provenant du foyer même de son Amour. Son seul désir est de recueillir ces étincelles d’amour et de les unir à son Amour infini, afin que notre amour demeure à jamais dans le sien. Ainsi, la force d’attraction de l’amour nous attirera dans l’éternelle patrie de l’Amour… Alors, offre à Dieu tout ton petit cœur. Sois sincère avec lui en toutes circonstances et en toutes tes attitudes. Dans la joie comme dans la peine, offre-lui tout. Peut-il y avoir un bonheur comparable à celui de s’aimer l’un l’autre, et de se communiquer tout ce que l’on possède ? Agir ainsi avec Dieu, c’est lui dire un merci qui lui plaît davantage que des milliers de cantiques émouvants. »

Thérèse a écrit un jour: « Un instant, c’est un trésor. » Comme c’est vrai ! Tout peut prendre une valeur inouïe si la foi sait offrir. Encore faut-il avoir au cœur la liberté royale des enfants. Van est encore trop hésitant :

« Maintenant, petit frère, aie la patience de m’écouter… Je sais que tu redoutes encore une chose, voici : ne crains pas de te montrer familier avec le Bon Dieu comme avec un ami. Tu l’appelles Père, alors il faut te montrer son enfant. C’est là ce qui convient à l’amour. Raconte-lui tout ce que tu veux : tes jeux de billes, l’ascension d’une montagne, les taquineries de tes camarades, tes colères, tes larmes ou les petits plaisirs d’un instant. Dieu t’aime tant… Il écoute chacun de tes petits mots d’amour. Il accueille chacun de tes sourires, chacun de tes regards… Sois sans crainte et désormais, petit frère, ne sois pas avare de tes histoires avec le Bon Dieu, n’est-ce pas ? » Thérèse riait…

« Le propre de l’Amour est de s’abaisser »

Une objection classique va pourtant surgir dans le cœur de Van. Thérèse écoute :

« — Mais, petite soeur, Dieu connaît déjà toutes ces choses ; qu’est-il encore besoin de les lui raconter ?

— C’est vrai petit frère. Dieu connaît tout parfaitement. Dans l’éternité, tout est présent à ses yeux… Cependant, pour “donner” l’Amour et « recevoir » l’amour, il doit s’abaisser au niveau d’un homme comme toi ; et il le fait comme s’il oubliait qu’il est Dieu et qu’il connaît toute chose, dans l’espoir d’entendre une parole intime jaillir de ton cœur. Dieu agit ainsi parce qu’il t’aime… »

Toujours simple et concrète, Thérèse va se servir ici d’un exemple pour imager le mystère de la miséricorde :

« Lorsqu’un papa veut donner un baiser à son petit enfant, il ne peut rester planté là tout droit et exiger paresseusement que le petit se hisse jusqu’à ses lèvres… Pourrait-on appeler ceci un baiser affectueux ? Évidemment non ! Pour donner un baiser à son petit, le papa doit s’incliner profondément jusqu’à la portée de son visage, ou encore le prendre dans ses bras ; dans tes deux cas, il doit s’abaisser… »

Pour saisir toute la portée de cette dernière phrase, il faut se souvenir de ce que Thérèse écrit dans Histoire d’une âme : « Il a mis devant mes yeux le livre de la nature et j’ai compris que toutes les fleurs qu’il a créées sont belles, que l’éclat de la rose et la blancheur du lys n’enlèvent pas le parfum de la petite violette ou la simplicité ravissante de la pâquerette… Ainsi en est-il dans le monde des âmes qui est le jardin de Jésus. Il a voulu créer les grands saints… Mais Il en a créé aussi de plus petits… En effet, le propre de l’amour étant de s’abaisser, si toutes les âmes ressemblaient à celles des Saints Docteurs… Il semble que le Bon Dieu ne descendrait pas assez bas en venant jusqu’à leur cœur ; mais il a créé l’enfant qui ne sait rien… a crée le pauvre sauvage n’ayant pour se conduire que la loi naturelle et c’est jusqu’à leurs cœurs qu’Il daigne s’abaisser, ce sont là ses fleurs des champs dont la simplicité le ravit… En descendant ainsi, le Bon Dieu montre sa grandeur infinie. »

Ayant vécu ses propres paroles, la petite carmélite a tant exploré la béatitude de la pauvreté qu’elle écrira :

« Ne crains pas, plus tu seras pauvre, plus Jésus t’aimera. Il ira loin, bien loin pour te chercher… »

Et encore:

« L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au ciel, ce sont vos bras, Ô Jésus! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. »

« La confiance et rien que la confiance »

Revenons à notre Van. Cela a-t-il fait tilt dans son cœur ? Thérèse, elle, continue sur sa lancée. Après avoir démontré combien Dieu est « penché» sur son enfant, elle revient avec insistance sur l’attitude impérative que doit avoir l’enfant:

« As-tu compris, petit frère? Dieu est notre Père très aimant. Son dessein étant de nous manifester son amour et d’accueillir l’amour que nous lui offrons, il a voulu s’abaisser lui-même jusqu’à nous… La seule difficulté devant laquelle Dieu semble être impuis-sant, c’est notre manque d’amour et de confiance en lui. Il se voit rejeté de manière injuste, et pourtant, lui, ne nous rejette jamais. »

Thérèse dévoile maintenant à Van ce qui blesse Dieu plus que nos péchés : cette distance mortelle que nous mettons entre lui et nous, et qui l’empêche de déverser en nos cœurs « les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en lui ». Dans le fond, rien n’est pire que de comprimer le cœur de Dieu. On « ensable » la source de l’Amour, alors que la confiance la « libère ». Aussi, Thérèse réaffirme à Van :

« Petit frère, pour consoler le Bon Dieu, suis mon conseil : sois toujours prêt à lui offrir ton cœur… Ce sera pour lui un nouveau paradis où toute la Trinité trouvera ses délices… Fais l’œuvre qui mène à l’unité, en lui offrant tout avec confiance… Tiens toujours ton cœur grand ouvert devant lui. Petit frère, essaie, pour voir… »

Tout est donc suspendu au mystère de la confiance. Petit, misérable, sale, pauvre… en un mot : pécheur. Rien ne peut me séparer du Dieu-Amour toujours penché sur moi. Seul le manque de confiance le tient à distance. L’œuvre qui mène à l’unité dont parle Thérèse, c’est bien le combat de la confiance : elle seule, en effet, est plus profonde que mes enfers. Elle seule emporte et soulève tout dans une irrésistible poussée parce qu’elle demeure en moi cette puissance de l’Esprit Filial qui a opéré la Résurrection du Christ. Elle seule rend pauvre et crée en moi un immense espace intérieur où Dieu peut aimer. Elle peut tout vaincre si nous la laissons grandir. La foi que demande Jésus est bien ce mouvement de confiance qui ne s’appuie plus que sur lui. Aussi, Thérèse a tout dit lorsqu’elle livre un jour son secret de sainteté :

« Oui, je le sais, quand même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irai, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien il chérit l’enfant prodigue qui revient à Lui… C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour. »

Le long enseignement sur la miséricorde est terminé. Thérèse va prendre congé de Van. Elle reviendra. Mais pour l’heure, elle donne les dernières consignes :

« Petit frère, je t’aime !… Tu fais partie de ma brigade d’amour et mon seul désir est de te voir accomplir les Œuvres de l’Amour. Désormais, dans tes relations avec le Père du Ciel, ne manque pas de suivre mes conseils. Tu es mon cher petit frère et je serai toujours avec toi… Aujourd’hui l’heure est passée. Tu dois retourner pour le diner. Hiên et Tam te cherchent et ils commencent à s’impatienter… Garde le secret sur tout cela. Je te défends d’en parler. Sois discret, tu entends ? Je te donne un baiser… À plus tard… »

Ce premier entretien avec Thérèse avait duré des heures et Van en ressort tout drôle :

« J’étais comme quelqu’un qui sort d’un rêve, moitié inquiet, moitié heureux. Et quand Thérèse me dit: “Je te donne un baiser”, je sentis aussitôt comme une brise légère qui m’effleura le visage, et je fus envahi d’une telle joie que je perdis un instant connaissance. De cette joie radieuse, il me reste un je ne sais quoi, aujourd’hui encore… »